Fouad Soufi, historien, ex-sous-directeur à la Direction générale des archives nationales et chercheur au Crasc, est revenu sur des moments clés et des détails peu connus de l’activité de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) dans la wilaya d’Oran, de la fin de 1961 à 1962, et leur lien direct avec ce qui s’est passé le 5 juillet.
Selon l’historien, ces évènements sont très peu connus, pourtant, explique-t-il, c’est le début de tous les évènements, les crimes et les massacres qui vont avoir lieu plus tard. «J’ai commencé à travailler sur le sujet en 1992 avec mon collègue et ami Sadek Benkada. C’était une journée portée disparue», dit-il.
Il explique cependant que le travail était plutôt caractérisé par des positions idéologiques et ahistoriques. « Evidemment, j’ai dit que toute souffrance est légitime et mérite le respect. Bien sûr que le massacre des Européens le 5 juillet n’est pas un fait normal, mais cela ne peut pas être le petit arbuste qui va cacher tout ce qui s’est passé le 5 juillet 1962 et depuis le 5 juillet 1830. Il ne faut pas inverser les valeurs », affirme Fouad Soufi.
Il souligne que l’OAS a commencé à assassiner les Européens qui ne les suivaient pas ou ceux qui étaient soupçonnés de travailler avec le FLN et apporter leur soutien matériel aux Algériens. Mais leur activité s’est intensifiée à partir de la grande grève organisée contre la partition de l’Algérie. « Ils ont commencé par les Européens. Ensuite, ils ont essayé de briser la grande grève organisée à l’appel du GPRA. Chose qui n’a pas marché, ce qui a provoqué des incidents violents, pas uniquement à Oran mais dans toute l’Algérie. Cette grève a été une très grande victoire pour le GPRA qui avait appelé à la grève contre le plan de la partition qui visait à couper le pays en deux. Ils ont fini par faire marche arrière », dit-il.
Après le 9 janvier 1962 et le scrutin d’auto-détermination, explique Soufi, beaucoup d’entre eux se sont réfugiés à Oran, et donc, il fallait faire de la place. «Je le dis maintenant car je commence à en être convaincu. C’était tout simplement une forme d’éthnicide. Il fallait renvoyer les Algériens qui vivaient à Oran», assure l’historien.
Une nouvelle guerre dans la guerre
Poursuivant son récit basé sur un travail de longues années de recherches, Soufi revient sur ce qu’il qualifie d’une guerre qui a éclaté par un jour du 5 juillet. «Ce dont je suis certain est que le 24 août 1961, et par une série d’attentats, l’OAS a déclenché la guerre. Il s’agit d’une nouvelle guerre dans la guerre. Jusque-là, deux forces s’opposaient. Celle de l’Etat français colonial et en face l’ALN et le FLN. Et tout d’un coup, il y a eu une sorte de guerre à trois. Une partie des corps sécuritaires de la France coloniale a rejoint l’OAS et commençait à tirer sur les soldats français et évidemment sur les Algériens et à chaque fois qu’elle le pouvait, elle tirait aussi sur les fidaïne du FLN. De leur côté, les fidaine tiraient, à la fois, sur l’OAS et sur l’armée française. C’est ainsi que l’OAS va s’organiser à Oran, à Alger et à Constantine où il y a eu les plus gros crimes marquant les débuts de l’activité de l’OAS à mon avis. Petit à petit, cela a pris l’allure d’une guerre à trois, ensuite il y a eu une volonté de faire du réduit d’Oran une sorte de mini-république française où il n’y a pas de place pour les Algériens mais aussi pas de place pour l’armée française considérée comme une armée d’occupation. C’est ainsi qu’ils ont commencé à tirer sur les jeunes appelés de l’armée française. D’ailleurs, le général Joseph Katz, qui commandait la place d’Oran à l’époque, disait que les soldats de l’armée française préféraient se faire soigner dans les infirmeries du FLN plutôt que dans les hôpitaux français où ils risquaient de se faire tuer par des médecins de l’OAS », indique Fouad Soufi.
L’historien qualifie l’OAS d’une bande d’assassins. L’OAS occupait les clochers des églises et les derniers étages des immeubles. A partir du haut de la cité Lescure, ils dominaient la M’dina El Jedida et tirant sur des femmes en hayek. C’était des snipers», dit-il.
L’attentat à la voiture piégée à Tahtaha: Un massacre épouvantable
Devant l’intensification des actes de violence à l’encontre de la population locale, l’OAS a poussé cette dernière à vouloir se défendre elle-même. Mais le FLN avait émis une note interdisant toute réaction de la population, raconte notre interlocuteur. « Ils ont dit que c’est à eux (le FLN) de le faire, non à la population de se battre. Mais les violences commises par l’OAS étaient de trop et les populations ne pouvaient continuer à les subir, surtout que le FLN se battait », ajoute-t-il.
Ainsi, poursuit Soufi, «le moindre fidaï qui avait des traits et le profil d’un Européen se voyait attribuer des missions à l’intérieur des quartiers européens à Oran, et il y a eu cette guerre à trois jusqu’au 28 février 1962 où il y a eu le premier attentat à la voiture piégée. Il faut savoir qu’il n’y a pas eu un tel attentat depuis 1947 à El Qods, celui qui fut perpétré par des terroristes israéliens. Le mot sniper n’était plus utilisé depuis 1914 et c’est l’OAS qui l’a remis à jour. Cet attentat, était l’horreur absolue. Le plus meurtrier depuis le début de la guerre jusqu’à l’attentat du 1er mai à Alger. Il a été exécuté par un harki entré dans le quartier de Tahtaha, pas très loin du café de l’USMO, où il a fait exploser la voiture. Un massacre épouvantable, au point où c’était impossible d’identifier les corps des victimes. Seules deux d’entre elles ont pu été reconnues. Ils ont retrouvé une main qui tenait une autre d’une petite fille avec un bracelet portant son nom. Il s’agissait d’une petite fille qui était accompagnée de son père. Les cadavres étaient récupérés et les cervelles collées au mur.
En réalité, personne n’a le chiffre exact des victimes, d’autant plus que l’attentat a été actionné au moment où des élèves sortaient de l’école mitoyenne.
Des journalistes étrangers ont dit que c’était l’attentat le plus meurtrier depuis 1954, et c’est bien l’œuvre de l’OAS, poursuit l’ex-sous-directeur.
Il ajoute que l’OAS a commis des attentats qu’il a essayé d’attribuer au FLN comme celui dont a été victime une femme et ses deux filles à Mers El Kébir retrouvées égorgées. Il s’est avéré que la femme assassinée travaillait pour le FLN, selon notre interlocuteur qui souligne le choix peu innocent de certains vocabulaires discriminatoires utilisés par la presse qui parlait des attentats terroristes du FLN et attentats activistes de l’OAS.
Après cet épisode sanglant (l’attentat du 28 février), les gens se sont armés de tout et de n’importe quoi et sont descendus au centre-ville pour se défendre, raconte l’historien. Mais le FLN les a convaincus de ne pas le faire, explique-t-il.
«C’était un piège et une provocation à laquelle il ne fallait pas répondre. Et c’est cette attitude du FLN qui va montrer qu’il est l’unique et le seul représentant des Algériens, car il a réussi à la retenir », note-t-il.
Que retient-on des évènements de l’OAS Oran ? Fouad Soufi répond : «D’abord, la confirmation du FLN comme représentant unique. On le savait, mais cela s’est confirmé par la suite. Si un parmi les responsables français avait besoin d’être convaincu que le FLN était le seul et unique représentant du peuple, et bien il l’a été grâce à cet épisode », dira l’historien.
Au plan politique, il explique que l’objectif principal de l’OAS était d’empêcher la naissance de l’Algérie indépendante, entre autres, en provoquant le FLN et surtout en amenant l’ALN à casser le cessez-le-feu. Cette représentativité est confirmée sur le terrain.
Ce n’était pas une simple vue de l’esprit.
C’est bien le FLN qui décidait. Et partout en Algérie, il a construit un contre-Etat par rapport à l’Etat colonial, assure l’historien.
Les fidaïne méritent la reconnaissance de la patrie. Malheureusement, ils ont tous ou presque quitté cette vie, se désole l’historien avec beaucoup d’émotion.
Il souligne que pour certains historiens français de droite, c’est le FLN qui a massacré les Européens le 5 juillet. «Pour nous, ce n’est pas le FLN. Il faut savoir qu’il n’y avait plus rien à cette époque à Oran. Elle était devenue une zone autonome», dit-il.
Après le 5 juillet, le capitaine Bakhti mettra un terme à l’activité de certains groupes, rappelle Fouad Soufi.
A. S.
Source: elmoudjahid.com
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