De hautes montagnes raides cisaillent le ciel. À leur pied, une multitude de petites maisons brunes et vertes : Kassala. L’entrée dans cette ville de l’est du Soudan se fait par une large route goudronnée. Sur les bas-côtés, des garages, de longues files devant les pompes à essence et des centaines de 4×4 Toyota Hilux. « Ce sont les véhicules utilisés par les passeurs », explique Hamit Ibrahim, journaliste local. « L’Érythrée est à 15 kilomètres d’ici. Les habitants de Kassala travaillent principalement dans l’agriculture ou dans la contrebande. Ils transportent tout en Érythrée : du sucre, des céréales, du pétrole, tout », ajoute-t-il.
Aaron* est l’un d’entre eux. Il a 28 ans. Grand de taille, le visage ceint d’une fine barbe, il a fui l’Érythrée il y a trois mois. La contrebande de marchandises vers l’Érythrée lui permet de vivre dans sa ville d’accueil. « J’ai une moto. J’importe du sucre, des confiseries, du Coca et de l’eau », explique-t-il. Aaron utilise des routes frauduleuses, loin des postes de sécurité pour voyager. Il change plusieurs fois de vêtements, se couvre d’un turban pour passer pour un Soudanais. « Tu peux gagner de l’argent là-dedans, mais c’est très dangereux. S’ils m’attrapent, ils vont me renvoyer en prison », ajoute-t-il.
Aaron avait 18 ans lorsqu’il est entré en prison pour la première fois. Sa faute ? Ne pas s’être présenté à l’entraînement militaire. Depuis 1995, la loi érythréenne impose 18 mois de service national à toute personne atteignant sa dernière année de scolarité. Mais dans la pratique, le service militaire est indéterminé et peut durer jusqu’à 15, 20 ans ou plus. « La prison était une expérience très difficile. Nous étions 400 dans une petite pièce. Nous n’avions pas de place pour dormir. Nous ne voyions pas le soleil », se souvient Aaron. Après huit mois, il a passé son entraînement militaire, puis a servi dans l’armée pendant six ans.
« En février dernier, ils ont voulu nous envoyer dans la région d’Omhajer, pour un entraînement, explique le jeune homme. On ne leur a pas fait confiance, parce qu’on sait qu’il n’y a pas d’entraînements dans cette zone. Ils allaient m’envoyer au Tigré pour me battre. C’est une région très dangereuse. Certains sont morts. D’autres ont été arrêtés », ajoute-t-il. Les troupes érythréennes soutiennent les forces nationales de défense éthiopienne dans le conflit en cours au Tigré. Depuis le 4 novembre 2020, une guerre a éclaté dans cette région au nord de l’Éthiopie, opposant le gouvernement fédéral au gouvernement régional tigréen. « J’ai pensé que si je mourais au Tigré, l’État n’allait pas s’occuper de ma famille. Ils n’allaient rien leur donner. Alors, j’ai décidé de fuir », explique Aaron.
Aster* aussi a fui l’Érythrée et le service national. Elle vit dans la région de Kassala depuis un an et demi. Elle accepte de parler dans un endroit sécurisé, loin des regards et des oreilles indiscrètes. « J’étais très jeune quand j’ai rejoint l’armée, j’avais 18 ans », commence-t-elle. Les soldats l’ont arrêtée sur son lieu de travail pour l’emmener au camp militaire. Elle y est restée près d’un an. « On apprend tout là-bas. On s’entraîne, on manie les armes », explique Aster. Elle porte un long voile mauve, des boucles d’oreilles et un piercing doré dans la narine. Ses ongles sont vernis et ses yeux finement soulignés de khôl. « Ils tirent sur ceux qui essayent de s’enfuir. Je connais quelqu’un qui est mort alors qu’il tentait de s’échapper », ajoute-t-elle. « Toutes sortes de harcèlements ont lieu pendant l’entraînement militaire. Même les très jeunes filles. Ils désignent une femme qui leur plaît. Leur maison est à côté de la nôtre. Et ils nous appellent. Quand le chef nous demande, nous n’avons pas le choix, nous devons le rejoindre », explique la jeune Érythréenne. Une fois son entraînement terminé, Aster a rallié l’armée. « J’étais soldate. Si quelqu’un faisait quelque chose de mal, nous devions l’arrêter. Ce n’était pas mon choix. Je devais le faire. Les décisions ne sont pas entre nos mains », ajoute-t-elle. Épuisée par ce travail forcé et par les pressions subies de la part de ses collègues – tous des hommes,Aster a profité d’une période de repos pour s’enfuir. Elle a traversé la frontière à pied, en pleine nuit, accompagnée de quelques amies.
Entre 7 500 et 9 000 personnes arrivent chaque année d’Érythrée, indique la Commission gouvernementale soudanaise pour les réfugiés. Depuis le début du conflit au Tigré, 62 166 réfugiés supplémentaires, principalement des Éthiopiens, ont fui vers la région, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Une partie des nouveaux arrivants érythréens est enregistrée et logée au centre de réception de Wedsherify, avant d’être transférée au camp de réfugiés de Shegarab. Devant la porte de métal blanc du centre, un groupe de femmes aux voiles colorés attendent. « Nous n’avons pas de nourriture, aidez-nous », implore l’une d’entre elles, en montrant ses papiers de demande d’asile.
Derrière la grille, un hangar où une soixantaine de lits, certains défoncés, se juxtaposent. Quelques dizaines de réfugiés sont ici. Certains sont malades. Ils demandent des médicaments. Des enfants jouent entre les couchages. « J’ai 13 ans, explique Khalid. Je suis venu tout seul. Mon frère est en Égypte et il est enregistré comme réfugié auprès des Nations unies. Il a entamé la procédure pour être réinstallé aux Pays-Bas. Moi je veux aller au camp de Shegarab et aussi commencer la procédure », affirme-t-il. Il a profité des vacances scolaires pour traverser la frontière à pied. Un petit garçon souriant se tient à côté de lui. « C’est Salomon, un voisin. Il a huit ans, explique Khalid. Lui aussi, il est venu tout seul. Son père est mort et sa mère a une maladie mentale », explique-t-il. Salomon lève ses grands yeux et demande : « Tu m’emmènes avec toi en Europe ? »
Dans les centres de réception, tout comme dans les camps de réfugiés, la sécurité et la stabilité sont un réel défi. Des membres des renseignements érythréens et soudanais se mélangent aux réfugiés et aux déserteurs érythréens ou éthiopiens. « Ils menacent de nous déporter, de nous renvoyer en Érythrée. Il y a quatre jours, six personnes ont été emmenées dans un véhicule des forces de sécurité. S’ils essayent de nous attraper, nous allons tenter de fuir, à pied, vers une autre région », indiquent des demandeurs d’asile érythréens.
La situation géopolitique impacte les réfugiés. « Après que la guerre civile éclate en Éthiopie, les autorités soudanaises ont pensé que c’était le moment opportun pour reconquérir la région d’al-Fashaga. Ils ont attaqué la zone et déplacé les Éthiopiens. À présent, les troupes se rassemblent. Peut-être qu’il y aura une guerre entre les deux pays. Cette situation pourrait affecter les réfugiés qui arrivent ici », prévient Hammit Ibrahim, le journaliste local.
Point de départ
La région de Kassala, c’est aussi une zone où vivent de nombreux Rashaïda. Ils habitent de petits villages ou des maisons modestes, devant lesquelles trônent leurs 4×4. « Les Rashaïda sont riches. Ils travaillent dans tout ce qui rapporte de l’argent ; l’or, les dromadaires et le trafic d’êtres humains », explique Hammit Ibrahim. Jusqu’en 2013, des réfugiés étaient régulièrement enlevés dans la région et envoyés au Sinaï où ils étaient torturés contre rançon. « Il y a toujours cela, mais ça arrive moins souvent. Aujourd’hui, c’est vers le centre du Soudan que les victimes sont emmenées et torturées », ajoute le journaliste.
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