Dans son livre d’entretiens avec le journaliste François Soudan intitulé « Une certaine idée de la Guinée », publié en 2019, le président Alpha Condé revient sur son incarcération à la prison centrale de Conakry. C’était peu après la présidentielle de décembre 1998. L’opposant exilé en France était revenu au pays pour affronter Lansana Conté dans les urnes. Mais, soudainement accusé d’avoir « recruté des mercenaires », il fut emprisonné plus de deux ans avant d’être gracié en 2001 par le président Conté dans le contexte d’une mobilisation internationale contre cette condamnation arbitraire. Alpha Condé raconte qu’à l’époque, un grand bâtiment de la prison avait été évacué pour qu’il se « retrouve seul ». « Mes avocats me disaient, ajoute-t-il, “Alpha, il faut marcher. Toute la journée, il faut marcher.” Je ne comprenais pas pourquoi, mais j’ai marché dans la cour. C’est lors de mon procès, quand je suis enfin sorti, que j’ai compris. J’ai vu des personnes qui étaient devenues infirmes, car si vous êtes en prison et que vous ne marchez pas, vous finissez par perdre l’usage de vos jambes. »
Aujourd’hui, la prison centrale de Conakry est surpeuplée. D’une capacité de 300 personnes, elle accueillerait environ 1 500 détenus, selon le rapport de l’Union européenne sur les droits humains et la démocratie dans le monde paru le 21 juin d’autres sources mentionnent 2 000 détenus. Et les supposés contestataires du pouvoir en place ont particulièrement fait grimper le taux d’occupation ces derniers mois. Parmi eux, des figures de l’opposition se sont vu interdire les sorties dans la cour de la prison en début d’année, durant au moins un mois. Impossible, donc, de marcher : cet exercice pourtant salutaire, d’après le récit d’Alpha Condé. Arrivé au pouvoir en 2010, drapé dans sa posture de démocrate et se rêvant en Mandela guinéen, le président Condé infligerait-il aujourd’hui à ses opposants politiques ce qu’il a lui-même vécu, sinon pire ?
La présidentielle du 18 octobre 2020, à l’issue de laquelle il a rempilé pour un troisième mandat controversé, a, en tout cas, cristallisé la tendance répressive du régime. Avec, d’abord, ces dizaines de civils tués par balle par les forces de défense et de sécurité. Puis des vagues d’arrestations qui ont ciblé au moins 400 militants de l’opposition et membres de la société civile. « En réalité, il s’agissait de rafles dans des quartiers supposés favorables à l’opposition. Conduites dans les locaux des CMIS (Compagnies mobiles d’intervention et de sécurité, composées de gendarmes et de policiers), certaines personnes ont été soumises à des interrogatoires très durs. Certaines se sont même plaintes d’avoir été torturées pour se voir arracher des aveux », précise maître Mohamed Traoré, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats de Guinée. Avec d’autres conseils bénévoles, ils assurent collectivement la défense d’une grande partie de ces détenus, qu’il s’agisse de caciques, militants et partisans de l’opposition, ou de « personnes arrêtées à tort » dont « la vacuité du dossier n’échappe à personne ».
Entre arrestations arbitraires et détentions provisoires à rallonge, le « harcèlement judiciaire pour réduire au silence les militants prodémocratie », selon la formule de trois organisations montées au créneau ce vendredi (Tournons la page Guinée, Organisation guinéenne des droits de l’homme et Article 19), inquiète également Amnesty International. L’ONG a publié, quant à elle, un communiqué ce jeudi 8 juillet sur le sort des prisonniers arrêtés avant, pendant et après la présidentielle du 18 octobre 2020. En février, elle avait déjà appelé les autorités à faire la lumière sur les conditions de la mort en détention de quatre personnes.
Parmi ces plus de 400 détenus interpellés arbitrairement durant l’automne 2020, quatre personnes ont obtenu la grâce présidentielle les 18 et 22 juin à la suite d’une demande de pardon. D’autres ont recouvré leur liberté moyennant le paiement d’une caution, ou ont bénéficié d’un non-lieu – c’est le cas de 40 individus libérés en mai à Conakry. « Un pas positif pouvant contribuer à la décrispation de l’espace civique, a réagi la directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et centrale, Samira Daoud. Ces libérations ne doivent néanmoins pas faire oublier que des dizaines d’autres personnes sont en détention provisoire [à Conakry] depuis plus de sept mois, dont des opposants politiques, et qu’un activiste prodémocratie, Oumar Sylla, est détenu arbitrairement, simplement pour s’être exprimé. Ce dernier doit être libéré immédiatement et sans condition, tandis que les autres personnes doivent être jugées sans délai selon des procédures justes et équitables, ou libérées ».
Oumar Sylla, surnommé Foniké Mengue, est le « leader des jeunes » du FNDC (Front national de défense de la Constitution), un mouvement citoyen créé en avril 2019 pour s’opposer à un troisième mandat du président Alpha Condé. Le 10 juin dernier, il a été condamné en appel à 3 ans de prison ferme pour « communication et divulgation de fausses informations, menaces notamment de violences ou de mort ».
« Nous nous félicitons que les premiers verdicts tombent, que les procès annoncés et attendus soient très imminents, a réagi, de son côté, le porte-parole du gouvernement Tibou Camara. Notre justice est à pied d’œuvre pour démêler l’écheveau de toutes les affaires et les premiers actes posés rassurent quant à l’aboutissement rapide des procédures en cours, le respect des droits et de la dignité des détenus. […] Je rappelle que c’est à la suite de violences meurtrières et de destructions massives d’édifices publics et de biens privés qu’il a été procédé à toutes les interpellations. » Et d’inviter à prendre avec des pincettes les communiqués ou rapports d’organisations relayant des « opinions et commentaires loin d’être neutres » et non « motivés par des faits avérés ».
Maître Mohamed Traoré, lui, se montre plus circonspect quant au respect du calendrier judiciaire… et du principe de séparation des pouvoirs. Avec ses confrères, ils patientent depuis l’ordonnance de renvoi en jugement du 29 avril 2021 pour voir leurs clients enfin comparaître devant le juge. « Nous sommes surpris qu’il n’y ait toujours pas de date de procès. De notre côté, nous sommes prêts. Prêts à démontrer que ces dossiers ne constituent qu’un simple montage, et que si les juges sont indépendants et impartiaux, il n’y aura pas de condamnation, car les faits ne tiennent pas. Notre principal obstacle, c’est que la justice ne donne pas de garantie d’indépendance », dit-il.
Si les accusations de fabrication, de stockage, de détention d’armes de guerre et de munitions qui figuraient initialement dans certains dossiers ont été abandonnées, les charges retenues contre leurs clients demeurent pourtant lourdes. « Les faits ont été requalifiés en participation à un mouvement insurrectionnel, atteinte aux institutions de la République, mise à disposition d’autrui de données de nature à porter atteinte à l’ordre public… Dans le cas de certains jeunes poursuivis au départ pour des infractions très graves, il y a eu des requalifications en détention de chanvre indien », précise maître Traoré.
L’attente est longue et éprouvante, surtout, pour les détenus. Maïmouna Bah Diallo, 62 ans, en sait quelque chose. Son mari Cherif Bah, vice-président de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée et premier parti d’opposition), a été arrêté le 11 novembre 2020. Depuis, comme toutes les épouses ou proches de détenus massés chaque midi à l’entrée de la prison centrale, elle lui apporte son repas. Ou, plutôt, lui « apportait ». « Cela fait quatre mois qu’il est à l’hôpital Ignace Deen de Conakry. Il a eu des problèmes cardiaques qui se sont aggravés avec son incarcération. Les conditions d’hygiène sont vraiment exécrables, et vu son âge, 73 ans, ça a été dur pour lui. Et puis ils font tout pour jouer sur le moral des détenus. Comme lui interdire de sortir dans la cour. Aujourd’hui, sa situation est stable, mais il n’est pas guéri. On est en train de lui faire subir des choses qu’on n’avait jamais imaginées, juste à cause de ses opinions. Heureusement, son moral est bon », résume-t-elle.
D’autres responsables de l’UFDG, comme le coordinateur de la cellule communication Ousmane Gaoual Diallo, le coordinateur des fédérations Mamadou Cellou Baldé ou l’ex-directeur de campagne du parti à Kindia Abdoulaye Bah, arrêtés au même moment que Cherif Bah, ont également dû être hospitalisés. La prison centrale de Conakry ne compte qu’un seul médecin, selon cette note d’Amnesty International. « On se couche les uns sur les autres, témoigne un militant de l’UFDG rencontré par l’ONG. Les prisonniers font leurs besoins les uns à côté des autres… Un jeune est là-bas depuis six mois, arrêté seulement parce qu’il dansait dans la rue sur des musiques qui faisaient l’éloge de Cellou Dalein Diallo [président de l’UFDG, NDLR]. Il n’y a pas d’infirmerie, c’est seulement une inscription sur une porte. Un seul médecin vient pour tous ces détenus. »
Ibrahima Diallo, responsable des opérations du FNDC et représentant de l’organisation pro-alternance démocratique Tournons la page-Guinée, se souvient de la cellule où il fut enfermé une première fois en 2019, durant un mois et demi : « C’est une cellule de 4 mètres carrés sans toilettes. Il y a deux lits superposés, et une natte à terre qui occupe le reste de l’espace, où des gens dorment. Nous étions six : cinq détenus politiques et le chef de la cellule. Il y avait beaucoup de punaises et de moustiques. » C’est cette même cellule qu’occupe aujourd’hui Oumar Sylla, son camarade de lutte du FNDC, condamné à 3 ans de prison ferme. « Il va bien, même s’il y a parfois des problèmes de santé. Mais le moral est bon, c’est le plus important. Il passe ses journées à lire. En ce moment, ce sont les mémoires de Mandela », renseigne-t-il.
Après une deuxième incarcération, une libération provisoire sous contrôle judiciaire, puis un mandat d’arrêt émis contre lui en juillet 2020 et deux mois de clandestinité, Ibrahima Diallo a pris le chemin de l’exil. Il a filé à Dakar avec une autre figure du FNDC, Sékou Koundounou, juste avant que la Guinée ne ferme ses frontières avec le Sénégal le 27 septembre 2020 (récemment rouverte, NDLR.). Le militant n’a pas pu assister à la naissance de son premier enfant ni à l’enterrement de sa grand-mère. Mais le choix est assumé. « On ne peut pas se résoudre à la justice dont l’objectif est de maintenir les combattants de la démocratie en prison, de créer la peur et de décourager les candidats à l’engagement citoyen. Toutes les voix discordantes sont anéanties en Guinée. On essaie aujourd’hui de plaider pour l’instauration de sanctions contre les dignitaires du régime, les interdictions de voyager ou le gel des avoirs », dit-il, en référence à la proposition d’eurodéputés d’activer le mécanisme de l’Union européenne de sanctions pour atteintes aux droits de l’homme contre 25 figures du régime Condé.
L’exil n’est, en revanche, pas une option pour le chef de file de l’opposition Cellou Dalein Diallo, qui avait revendiqué sa victoire à la présidentielle du 18 octobre 2020, avant d’être assigné à résidence plusieurs semaines, puis de voir le siège de son parti et ses bureaux bouclés. Il est aujourd’hui frappé d’une interdiction de quitter le territoire guinéen. Le président de l’UFDG en a été informé fin mai à l’aéroport de Conakry alors qu’il s’apprêtait à s’envoler pour Lomé. Le procureur de la République près le tribunal de première instance de Dixinn, à Conakry, a annoncé le 24 mai dernier que « toutes les mesures d’interdiction de sortie du territoire ordonnées à l’encontre de certaines personnes en application de la législation en vigueur [restaient] maintenues et pourraient même s’étendre à d’autres au besoin ». Mais sans donner plus de détail sur le fondement juridique de cette mesure, et son motif. Interrogé à ce sujet, le porte-parole du gouvernement Tibou Camara a répondu : « C’est une décision de la justice, qui est absolument souveraine. Elle s’en est expliquée, publiquement et clairement. Les magistrats instructeurs ont jugé que pour les nécessités d’enquête et les exigences de l’instruction concernant tous les dossiers en instance, il était préférable que tous les citoyens susceptibles de comparaître, d’être entendus, à quelque titre que ce soit, se rendent disponibles et ne quittent pas, pour l’instant, le territoire national. »
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