L’accord d’association UE-Algérie : un accord unilateral ?
L’accord d’association (AA) UE-Algérie est signé le 22 avril 2002 et entre en vigueur le 1er septembre 2005, soit six ans après l’adoption d’un traité entre l’Union Européenne (UE) et le Maroc. Si l’AA était perçu comme une opportunité de développement industriel, d’acquisition de connaissances technologiques et surtout comme un moyen stratégique de développement économique, il s’avère que quinze après sa mise en oeuvre, l’Algérie en sort affaiblie.
Le point économique immédiat de l’accord : le démantèlement tarifaire
En 2005, l’accord d’association UE-Algérie marque la volonté d’intensification des échanges entre les deux parties. Le marché européen est vaste et la demande réelle, l’Algérie voit une potentielle ouverture commerciale et une occasion de diversifier son économie, et notamment ses exportations hors hydrocarbures. Le pays vise à développer sa production intérieure tout en bénéficiant des investissements européens. L’UE, quant à elle, en voit une alliance stratégique notamment en termes d’approvisionnement d’énergies. En effet, en 2017, l’Algérie est le troisième exportateur de gaz vers l’UE après la Russie et la Norvège[1]. L’aspect économique immédiat et le plus notable qui découle de cet accord est le démantèlement tarifaire. De fait, l’article 9 de l’AA prévoit la suppression des droits de douane ou taxes d’effet équivalent dès l’entrée en vigueur de l’accord. En d’autres termes, les produits importés ne sont plus soumis à la barrière tarifaire. æ À titre d’exemple, le point 1 de l’article précité prévoit l’annulation immédiate des droits de douanes à l’importation de l’Algérie pour les produits en provenance de l’Union Européenne tels que certains hydrocarbures, minerais, armes, le secteur de la navigation aérienne et maritime… Le point 2 prévoit l’annulation progressive des droits de douanes pour les importations algériennes à destination de l’UE sur une période de sept années, tels que les produits pharmaceutiques et certains hydrocarbures. Enfin, le point 3 prévoit l’annulation au bout de douze ans de tous les autres produits en provenance de l’UE. Initialement prévue en 2017, l’annulation des barrières tarifaires est repoussée au premier septembre 2020 lors de négociations ayant eu lieu le 15 juin 2010 au Luxembourg. En septembre 2020, le président Abdelmajid Tebboune annonce que cela n’aura pas lieu, sans consultation préalable avec leur partenaire qui crie à la violation de l’accord. De fait, pour Abderrahmane Mebtoul, économiste et ancien membre du comité algérien de négociation avec l’Union européenne : « ce décalage de la date butoir devrait permettre àl’Algérie d’éviter une perte de 8,5 milliards de dollars de recettes de Trésor d’ici à2017, si elle avait maintenu en vigueur le démantèlement tarifaire des produits importés de l’UE, selon des estimations officielles basées sur une simulation avec une facture constante des importations en provenance de l’UE sur la période allant de 2010, date du gel par l’Algérie du processus de démantèlement, à 2017».
Un accord import/export ou import/import?
La réduction de recettes de Trésor n’a pas été le seul résultat néfaste pour l’Algérie. En effet, la suppression progressive des barrières tarifaires a eu pour première conséquence un engouement des produits européens sur le marché européen. Selon le rapport d’information nº689 de M. Simon SUTOUR, 99,7% des exportations de l’Algérie vers l’Union Européenne en 2015 consistaient en énergie et dérivées du pétrole et 0,3% de produits agricoles. Les importations algériennes en provenance de l’UE se composent de produits industriels (équipements électriques, produits chimiques) à 85,5% et de produits agricoles à 14,4%. D’après la Direction Générale des Douanes, les pays de l’union européenne enregistrent une part de 50,23% de la valeur globale des échanges commerciaux algériens au cours de l’année 2019. Selon le Ministère du Commerce Extérieur « cet accord est important car c’est avec l’UE que l’Algérie réalise près des 60% de son commerce extérieur ». Les importations en provenance de l’UE issues de cet accord représentent 7,31 milliards USD pour l’année 2019, soit 44,37% du total des importations algériennes en 2019. Dans le cadre de l’AA, 46,47% des produits importés sont des produits semi-finis, 18,64% des biens de consommation, 17,36% des produits industriels et 5,56% des énergies et lubrifiant selon la Direction Générale des Douanes en 2019. En outre, les produits importés sont principalement des biens de production et des biens de consommation, consistant un frein majeur dans le développement industriel du pays. Les exportations à destination de l’Union européenne représentent57,22% du total des exportations en 2019. 78,41% des exportations hors hydrocarbures de l’Algérie vont à destination de l’Union européenne, dont un quart à destination de la France. L’Algérie est donc très dépendante de l’UE. Les importations en provenance de l’Union européenne sont passées de 8,2 milliards USD en moyenne annuelle avant la mise en œuvre de l’Accord d’Association (2002 à 2004) à 24,21 milliards USD en 2011, soit une augmentation de près de 200% (données du Ministère du Commerce Extérieur Algérien). Ainsi, les accords commerciaux « ont maintenu, durant des années, l’économie nationale dans un état de dépendance et de consommation continue de tout ce qui est importé » dénonce Kamel Rezig, Ministre du Commerce algérien, lors d’un colloque en février 2020.
Une conséquence directe : le recul de l’industrie
Ce tableau nous donne une vision macroéconomique de la répartition des petites et moyennes entreprises (PME) privées par secteur d’activités de l’année 2006 à 2018. En effet, la part des PME des domaines du BTP et des hydrocarbures augmentent fortement jusqu’à 2010. À partir de cette année, la tendance s’inverse pour ces deux secteurs. Tel qu’énoncé en introduction, l’Algérie attendait de cet accord l’accélération de la production nationale, or les industries manufacturières ont chuté de 3,51 points de pourcentage de 2006 à 2018. Ainsi, l’AA, au travers de l’invasion des produits européens sur le marché algérien, résulte d’une baisse conséquente du secteur manufacturier en Algérie. D’après le rapport économique de l’Algérie par le département fédéral des affaires étrangères de Suisse en date du 15 août 2020, « l’industrie pharmaceutique a étéclassée parmi les secteurs stratégiques, protégée par la règle 49/51%». Cependant, ces mesures ne sont pas suffisantes, d’autant plus que des mesures de régulations des importations sont venues compliquées l’apport du marché en produits pharmaceutiques, ainsi « les pharmacies se sont transformées en boutiques de vente de ces produits importés, au lieu de se concentrer sur (…) la fabrication » Mourad Benachehou, Le Quotidien d’Oran, 5 octobre 2020. Malgré les dispositions prévus par l’accord pour la protection de la production nationale, telle que les mesures antidumping, les mesures compensatoires et les mesures de sauvegardes (article 22 à 24 de l’AA), d’autres sont envisagées à ce jour car les présentes sont non seulement insuffisantes à la protection de la production nationale mais n’ont pu éviter son recul.
Comment se situe la compétitivité de l’Algérie face à la concurrence étrangère?
En 2019, l’Algérie est classée 89 sur 141 pays, 92 en 2018 et 79 en 2014-2015 selon l’indice de compétitivité du Forum Économique Mondial (FEM). Cela témoigne de l’inefficacité du modèle de production algérien. Dans les points faibles de l’Algérie, le FEM note, entre autres, une faible ouverture commerciale, un déficit de la balance commerciale, un mauvais score de corruption, une faible prise de risque entrepreneuriale et une faible application des brevets. Le déficit de la balance commerciale en Algérie en 2019 se chiffre à 6,11 milliards USD. Tel que précisé ci-dessus, la part des exportations hors hydrocarbures parmi les exportations totales de l’Algérie reste très faible, et vont principalement à destination de l’Union Européenne et pour un quart à destination de la France. De fait, l’Algérie éprouve de réelles difficultés à exporter.En effet, selon l’étude « Accord d’association Algérie-UE, un bilan critique » du professeur d’économie à l’université de Béjaia, Kheladi Mokhtar, publiée en 2007, les entreprises algériennes font face à de conséquentes barrières administratives et bureaucratiques à l’exportation. De plus, elles ne sont bien souvent pas suffisamment informées sur les normes de l’UE, notamment dans le secteur agricole. Enfin, des barrières coutumières ralentissent les exportations. À titre d’exemple, de l’alcool prévu à l’exportation resté dans les containers lors du mois sacré. Il est impératif de faciliter le processus de l’export en réduisant les coûts de transaction et en transmettant les normes règlementaires à toutes les entreprises et notamment agricoles qui étaient initialement vouées à être pourvues de nombreux avantages comparatifs. Ses difficultés à l’exportation, combinées au recul de l’industrie, ne permettent pas à l’Algérie de concurrencer les pays aux revenus les plus élevés, alors qu’elle en a le potentiel. Un frein au développement des entreprises reste néanmoins la corruption et le clientélisme, qui bénéficient de « subventions » pouvant rendre ces entreprises en apparence profitables alors même qu’elles ne le sont pas. « Les PME sont des composantes importantes de l’économie de nombreux pays. Elles sont souvent le moteur de la croissance des emplois. C’est pour cette raison que la relance de la production industrielle, le soutien aux PME et la création d’emplois sont au centre des préoccupations des autorités qui ont instauré un programme de développement quinquennal algérien 2010-2014, doté d’une enveloppe globale de 21,214 milliards de dinars. Ce plan a été adopté dans le but de valoriser davantage les capacités productives et le potentiel économique de l’Algérie. Pour ce faire, l’innovation, considérée comme une source forte de compétitivité, est un élément clé de la survie, de la croissance et du développement des PME », PME et innovation en Algérie : limites et perspectives, (2014) Amina Leghima, Hassiba Djema. Selon un article paru dans Algérie360 en date de 28 octobre 2019, il y aurait 36 000 chercheurs en activité en Algérie. Or, l’objectif visé par le ministère de l’Enseignement Supérieur était d’atteindre 60 000 chercheurs d’ici 2020. L’objectif a été atteint de moitié. Cependant, c’est à travers l’innovation que le potentiel productif de l’Algérie peut se développer. Le gouvernement en est formellement conscient : réformes LMD, présence d’Abdelmajid Tebboune à la Conférence Nationale des start-up le 3 octobre 2020, exonérations fiscales prévues pour les start-up prévues dans les Loi de Finance 2016 et 2020 … Ainsi, l’investissement est primordial en termes d’innovations et de promotion des capacités entrepreneuriales.
L’accord a-t-il permis une augmentation significative des investissements européens en Algérie, tel qu’initialement prévu?
« Ce qui impacté beaucoup les industriels, c’est le manque de financements. Les banques ont donné un tour de vis et les financements sont de plus en plus rares. Et quand les entreprises n’ont pas de financement, elles sacrifient la partie exportation » Ali Bey Nasri, Président de l’Association Nationale des Exportateurs, El Watan, 4 août 2019. D’après le rapport d’information nº689 de M. Simon SUTOUR, les investissements européens en Algérie sont estimés à14 milliards d’euros, soit 40% des investissements directs étrangers dans ce pays en 2015. Les investissements directs étrangers en provenance de l’Union Européenne ont étémultipliépar cinq entre 2005 et 2008. L’Algérie était placée 157 sur 190 pays dans le rapport Doing Business 2019, mesurant l’environnement des affaires, publiépar la Banque mondiale. Cela prouve la crise de confiance des investissements étrangers dans le marché algérien. Les flux d’Investissements Directs à l’Étranger (IDE) entrants représentent 1 382 milliards de dollars en 2019, soit en baisse de 6,1% depuis 2018 (Données de la CNUCED, rapport du 22 juin 2020). Son stock d’IDE entrants (ajustés en fonction des taux de change) est dix fois plus élevé qu’il ne l’était en 2000. Depuis 2014, le prix des hydrocarbures a chuté et dès lors le déficit de la balance commerciale s’est creusé, malgré les panels d’incitations fiscales pour attirer les investissements étrangers dans l’industrie du gaz et du pétrole mis en place par l’Algérie. Malgré l’article 39 de l’AA, les entreprises européennes sont encore hésitantes quant à investir en Algérie car elles demandent plus de stabilité juridique.
L’article 39 dispose un point très important sur le rapatriement des capitaux :
« La Communautéet l’Algérie assurent, àpartir de l’entrée en vigueur du présent accord, la libre circulation des capitaux concernant les investissements directs en Algérie, (…) ainsi que la liquidation et le rapatriement du produit de ces investissements et de tout bénéfice en découlant. » Autrement dit, l’accord garantit la libre circulation des capitaux et la possibilité de rapatrier tous les capitaux initialement investis ainsi que les profits par les firmes européennes installées en Algérie et les firmes algériennes installées dans les pays de l’UE.
De plus, l’article 54 promet « a) l’établissement de procédures harmonisées et simplifiées, des mécanismes de co-investissement (en particulier entre les PME), ainsi que des dispositifs d’identification et d’information sur les opportunités d’investissements ;
b) l’établissement d’un cadre juridique favorisant l’investissement, le cas échéant, par la conclusion, entre l’Algérie et les Etats membres, des accords de protection des investissements et d’accords destinés à éviter la double impositions.
c) l’assistance technique aux actions de promotion et de garantie des investissements nationaux et étrangers. » visant à limiter les lourdeurs administratives.
Les entreprises européennes, et notamment les PME, ont longtemps invité l’Algérie à revoir la règle des 49/51 qui permet, lors de joint-ventures, à l’entreprise algérienne de détenir 51% du capital social de la co-entreprise. Par conséquent, l’article 49 de la loi de finances complémentaire pour 2020 dispose qu’à l’exclusion « des activités d’achat revente de produits et celles revêtant un caractère stratégique », pour lesquelles la règle des 49/51% est maintenue, « toute autre activité de production de biens et services est ouverte à l’investissement étranger sans obligation d’association avec une partie locale ». L’article 50 de la présente loi annonce les secteurs considérés comme stratégiques[2].
L’augmentation des IDE entrants en Algérie est encore loin d’être suffisante pour rééquilibrer le déficit commercial. Abdelatif Rebah, économiste et ancien cadre supérieur au Ministère de l’Energie, a déclaré : « Si ces dix dernières années, le volume des importations algériennes de l’Union européenne sont astronomiques, en revanche, durant la même période, les investissements de cette région en Algérie n’ont représenté que moins de 4% de ce montant et encore essentiellement dans les hydrocarbures », dans une interview à El Watan en mars 2017.
À l’issu de l’accord, le marché de consommation européen s’est étendu en Algérie mais l’Algérie n’a pas bénéficié d’une augmentation des investissements directs à l’étranger à hauteur de son déficit.
Un rapport de force asymétrique entre les deux parties
L’article 56 de l’AA dispose que « La coopération aura pour objectif le rapprochement de la législation de l’Algérie àla législation de la Communautédans les domaines couverts par le présent accord ». Ainsi, l’Algérie doit s’aligner sur les législations européennes alors que chacune des deux parties a ses spécificités culturelles, économiques et politiques qui leur sont propres. Le point 1 de l’article 93 « Le Conseil d’association est composé, d’une part, de membres du Conseil de l’Union européenne et de membres de la Commission des Communautés européennes et, d’autre part, de membres du gouvernement de l’Algérie » illustre le rapport de force inégal entre les deux parties par le poids des membres de l’UE sur ceux du gouvernement algérien. De plus, l’article 23 prévoit l’alignement des subventions et mesures compensatoires sur les mesures prises par l’accord de l’OMC, or l’Algérie n’a toujours pas adhéré à l’OMC, ce qui joue fortement en sa défaveur. Les programmes d’aides de la Banque Européenne d’Investissement prévu pour « l’accompagnement des pays du sud dans les accords » tels que MEDA I, MEDA II, et plus récemment l’instrument européen de voisinage et de partenariat, démontrent que l’UE est bien consciente du déséquilibre de l’accord mais qu’elle est prête à tout pour satisfaire ses intérêts notamment en apport énergétique. Ceci étant, l’Algérie est également consciente de cette inégalité dès les premières négociations de l’AA mais a tout de même fait le choix de le ratifier, convaincue qu’elle en bénéficierait. Par ailleurs, le ministère du Commerce a annoncé à la suite de la loi de finances complémentaire de 2018, la suppression des interdictions et la remise en oeuvre d’un Droit Additionnel Provisoire de Sauvegarde (DAPS) appliqué sur les marchandises importées, venant s’ajouter aux droits de douanes, mis en application dès février 2019. Cette mesure existait et avait été supprimée en 2006 par le point 4 de l’article 17 « L’Algérie élimine, au plus tard le 1er janvier 2006, le droit additionnel provisoire (…) ». Le taux du nouveau DAPS pourrait aller de 30 à 200%, et ce dans le but de limiter l’importation des biens produits en Algérie. Aujourd’hui, les résultats sont tels que le gouvernement ne peut nier sa volonté de renégocier l’accord. Le 20 septembre 2020, Abdelmajid Tebboune, conscient de l’article 107 de l’AA, a déclaré que « Nous ne pouvons pas renoncer à l’accord d’association avec l’UE et nous ne pouvons pas nous éloigner de l’UE (…) mais nous allons revoir le calendrier et les partenaires européens sont d’accord concernant cette révision à laquelle s’attellent des économistes». Auquel il a ajouté « nous sommes en principe des partenaires de l’UE mais pas au détriment de notre économie ». Déçu, d’une part par l’apport économique, et d’autre part par le manque d’intensité des transferts technologiques et des circulations de personnes, la renégociation de l’AA est indispensable à la poursuite de la « nouvelle Algérie ».
[1]Le volet méditerranéen de la politique de voisinage : le cas de l’Algérie, Rapport d’information n° 689 (2016-2017) de M. Simon SUTOUR, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 27 juillet 2017
[2]L’Algérie s’ouvre à l’investissement étranger Vers la suppression partielle de la règle des 49/51%, Alwihda Info, Fayçal Megherbi, le 7 Octobre 2020
Par, Cécile Phélippeau, économiste, diplômée de la Sorbonne et Fayçal Megherbi,
avocat au barreau de Paris
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