Voilà une situation que l’on n’avait pas prédite. L’Espagne, championne du monde et double vainqueur de l’Euro, va-t-elle rentrer à la maison dès la phase de groupe ? Le pays jouant tous ses matchs à Séville, ça ne coûtera pas cher en transports ! Avec seulement deux points avant l’ultime rencontre face à la Slovaquie, les supporteurs de la Roja tremblent. Au cœur des interrogations : le manque cruel d’efficacité de l’attaquant Alvaro Morata, qui a multiplié les loupés contre la Suède (0-0) et contre la Pologne (1-1).
Le mal est cependant beaucoup plus profond. À la fin des années 2000, la sélection espagnole, grâce au FC Barcelone, a bouleversé la science du jeu. Basé sur une possession massive – entre 70 et 80 % –, le style ibérique mettait à l’honneur passes courtes, ouvertures millimétrées et joueurs sublimes d’intelligence (Iniesta et Xavi). Le tout conclu par un attaquant efficace Fernando Torres ou David Villa. La Roja a dominé le football mondial de 2008 à 2012 et a exporté son football partout en Europe.
Pendant que les autres sélections – ou clubs – assimilaient et amélioraient la recette gagnante (l’Allemagne par exemple avec le Bayern Munich en tête de gondole), l’Espagne a gardé la même jusqu’à la caricature. Le début de cet Euro 2020 en est l’illustration. Face à la Suède (0-0), les joueurs de Luis Enrique ont eu 85,1 % de possession de balle, fait 917 passes et tiré « seulement » 17 fois. Bis repetita face la Pologne (1-1) pour un résultat similaire. La Roja ronronne, le public ronchonne. Faut-il rappeler, enfin, que le FC Barcelone n’a plus gagné la Ligue des champions depuis 2015 alors que le Real, beaucoup moins adepte de la possession, en a gagné trois.
Car avoir le ballon, c’est bien. En faire quelque chose, c’est mieux. Multipliant les passes, les joueurs espagnols semblent vouloir rentrer dans le but avec le ballon sans jamais tirer de loin, sans jamais dribbler. Même Pep Guardiola, grand gourou de la possession de balle, a changé sa façon d’aborder les rencontres en concédant un peu de verticalité dans son idéologie.
Pour sûr, une élimination dès la phase de groupe de cet Euro ébranlerait près de quinze ans de certitudes et changerait la façon de penser le football. Quelqu’un pourrait traduire ces quelques vers de Brassens : « Mourir pour des idées / L’idée est excellente […] Il arrive qu’on meure / Pour des idées n’ayant plus cours le lendemain. »
le point
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