Le dollar est-il en train de perdre sa place hégémonique dans l’économie mondiale ? A croire certains économistes, le Yuan chinois serait en capacité de s’imposer comme monnaie internationale de transaction et de réserve ! Cette hypothèse nous oblige à un rappel à la fois historique et technique, pour éclairer sur les enjeux, de manière à séparer le grain et l’ivraie (voir notre article du 22 Août 2023).
Quelques rappels historiques.
En effet, c’est à Mount Washington Hôtel, à Bretton Woods, dans le New Hampshire aux États-Unis, du 1er au 22 juillet en 1944, avec la présence de 44 nations alliées, que fut consacré le dollar américain, comme monnaie internationale, définie à 35 US$ l’once d’or fin et entièrement convertible, en remplacement de la livre sterling qui jouait ce rôle antérieurement. Mais peu d’économistes se rappellent les deux thèses contradictoires qui ont prévalu, entre le britannique Lord John Maynard Keynes, Baron de Tillon, auteur du célèbre ouvrage intitulé « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » (1936) et secrétaire d’état au Trésor américain Harry Dexter White.
Le fameux économiste, fondateur d’une école économique de pensée, soutenait qu’il ne servait à rien de déposer la Livre sterling, en la remplaçant, par le Dollar, les mêmes causes créant les mêmes conséquences ! Il proposait donc de créer un système monétaire international fondé sur une unité de réserve non nationale, qu’il baptisa le bancor, soit une monnaie internationale de transactions et de réserves, détachée de toute monnaie nationale, définie en or et émise par une institution internationale en dehors d’un État. Cette proposition fut battue en brèche par l’américain H. D. White d’une seule phrase restée emblématique : « US$ is as good as gold » ! Deux institutions financières internationales vont voir le jour pour mettre en œuvre cette politique : La BIRD et le FMI.
Le contexte géopolitique et économique, de l’époque étant en faveur des américains, c’est cette décision qui a prévalu et le « gold exchange standard » est né et règne toujours malgré plusieurs chocs qui l’ont ébranlé sans l’anéantir ! Cependant, la suspension de la convertibilité du dollar américain en or, le 15 Août 1971, par le Président R. Nixon va de nouveau poser le problème du dollar qui se trouve être à la fois une monnaie nationale et internationale… Un retour à la problématique que L. J.-M. Keynes avait anticipé plusieurs décennies avant.
Quelques tentatives vont voir le jour et notamment deux importantes, celle de la création d’une monnaie européenne (traité de Maastricht de 1992), l’Euro qui est mis en circulation le 1er janvier 2002, pour se prémunir contre les manipulations du dollar qui sanctionnent les économies concurrentes et notamment européennes. Le second est la création le droit de tirage spécial (DTS) plus multilatéral, puisque émis par le FMI, en 1969 et défini par une parité en or. Si pour la création de l’Euro, les USA n’ont pas pu arrêter sa création et son expansion puisqu’il dépend de la Banque centrale européenne (BCE), dans le cas du DTS, dépendant du FMI, ils vont limiter son expansion et son utilisation, au strict minimum.
La situation du SMI actuelle.
La problématique actuelle se nourrit de l’histoire du système monétaire international (SMI) et se formule en une question : Comment créer une monnaie internationale, de transaction et de réserves, indexée sur l’or, qui ne soit pas dépendante d’un état mais d’une institution financière réellement multilatérale ? Il n’est donc pas question de remplacer le dollar américain par le Yuan ou la roupie… et encore moins par un panier de monnaies car on retomberait dans la même impasse théorique et pratique à terme, comme ce fut le cas pour la livre sterling le siècle dernier et le dollar américain aujourd’hui !
Deux éléments doivent être introduits à cet endroit, le premier est le fait que le troc représente quelque 30 % du commerce mondial, ce qui élimine le passage par la monnaie puisqu’il s’agit d’échanger des biens et services contre d’autres biens et services. Le second, c’est que le système du « clearing » a existé durant la guerre froide et de la confrontation entre les deux blocs (l’Algérie avait adopté ce système dans les années 60 et 70, avec le bloc dit socialiste), ce qui lui permettra d’éviter d’utiliser le dollar américain avec ces pays et réciproquement. Ce système va s’écrouler après la disparition de ce bloc et notamment de l’URSS et le triomphe de la « mondialisation », ce qui aura pour résultat un recours accru au dollar comme monnaie de transactions et de réserves.
Le pacte de l’USS Quincy.
Le pacte du Quincy est le surnom donné à la rencontre du 14 février 1945 sur le croiseur USS Quincy entre le roi Ibn Saoud, fondateur du royaume d’Arabie saoudite et le président des États-Unis Franklin Roosevelt, de retour de la conférence de Yalta, en Crimée. Les deux chefs d’État auraient signé un pacte, garantissant à la monarchie saoudienne une protection militaire en échange de la garantie que l’essentiel de l’approvisionnement énergétique américain provient du royaume pour une durée d’au moins soixante ans, tout en accordant à Aramco un monopole d’exploitation de tous les gisements pétroliers. Mais ce qui n’est pas mis en évidence, c’est que ce pacte prévoit également que toutes les transactions énergétiques se réalisent uniquement en US$. C’est justement ce que vient de remettre en cause l’Arabie Saoudite tout dernièrement et qui risque de remettre en cause, à long terme, la suprématie mondiale du Dollar américain !
Les pétrodollars et les bons du Trésor américain.
Le fait que les transactions sur l’énergie se fassent uniquement en US$ va créer le marché des « pétrodollars » qui lui-même sera recyclé en bons du trésor américain (T-Bond), ce qui va faire exploser le marché obligataire mondial et permettre aux USA de financer leur déficit abyssal du budget durant des années. Plusieurs pays, dont la Chine, achètent énormément de bons du trésor américain (quelques 5.000 milliards d’US$) et participent ainsi au financement de l’économie américaine. C’est justement à cet endroit que la guerre en Ukraine va changer profondément la donne.
La montée en puissance des pays du BRICS+.
Les sanctions économiques et financières contre la Russie, doublées du gel des avoirs financiers russes dans les banques occidentales et l’extraterritorialité de la justice américaine contre tous les pays utilisant des dollars dans leurs transactions et leurs réserves, vont amener les pays du BRICS+ à se « débarrasser » de leurs stocks d’US$ pour l’or (qui va flamber) ou vers d’autres monnaies et notamment le Yuan en fonction de leurs balance commerciale. En outre, un retour partiel au clearing dans leurs transactions entre pays membres du groupe se profile depuis quelques années. D’ailleurs toutes les banques centrales restructurent leurs réserves de changes en se débarrassant de leurs dollars par l’achat d’or. Cette politique a cependant un inconvénient majeur, c’est que les pays pauvres vont s’appauvrir encore plus et que la déflation va engendrer la récession économique.
Dès lors, les BRICS+ proposent la création de la nouvelle banque de développement (au capital initial de 100 milliards d’US$) et la création future d’une institution financière chargée de financer les problèmes de balance des paiements des pays à risque, en remplacement du FMI par un nouveau FMI multilatéral. Enfin, l’idée que le Yuan se substitue au Dollar est étudiée dans tous les pays du monde. La riposte américaine ne va pas se faire attendre et dès les résultats des élections présidentielles américaines de novembre 2024, elle se fera connaître. Ces pistes de recherche nécessitent du réalisme et un volontarisme politique mais surtout d’éviter d’écouter le « chant des sirènes » pour s’engager résolument dans des sentiers prospectifs, à moyen et long terme. Ce n’est donc pas demain que la dédollarisation va réaliser mais la dynamique est enclenchée.
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