L’évocation de l’ancien centre de torture « Chabou », érigé dans la commune d’Es-Sehaïlia (wilaya de Mascara), aujourd’hui disparu du paysage local, éveil toujours de douloureux souvenirs chez les moudjahidine qui y étaient détenus durant la Révolution, pour y avoir subi d’inhumaines formes de sévices.
Le moudjahid Naoui Mechri, âgé de 84 ans, se souvient encore de la cellule sombre de cette prison dépourvue des conditions sanitaires et humaines les plus élémentaires. « Le centre Chabou restera une honte gravée sur le front de la France coloniale », affirme-t-il à l’APS, à la veille de la célébration du 68ème anniversaire du déclenchement de la guerre de libération nationale.
Cet octogénaire a été arrêté en 1957 par l’armée coloniale française et conduit directement au centre de torture où, dès le premier jour de son arrestation, a été livré à des chiens féroces dont les marques de morsure sont encore visibles sur ses bras et ses jambes.
Il a été soumis aux formes de torture les plus horribles à l’intérieur d’une des cellules étroites. Il se souvient d’avoir été inconscient durant plusieurs jours, car ses bourreaux, des officiers de l’armée française, ne lui ont laissé aucune chance de récupérer, dans leurs tentatives de lui arracher des renseignements sur le bataillon de l’ALN, qui était actif dans les régions d’El-Menouer et de Tighenif, mais en vain.
Naoui Mechri a indiqué que « les officiers français adoptaient une méthode consistant à isoler les détenus des moudjahidine, ainsi que de leurs proches, dans des cellules d’isolement, qui étaient également des lieux de torture ».
Le même moudjahid garde toujours en mémoire cette hideuse scène dont il a été témoin, au sein de ce centre : celle de nombreux proches et de moudjahidine suspendus à une planche dans la cour de ce sinistre lieu de torture.
Le calvaire de ce moudjahid s’est prolongé de 1957 jusqu’à la proclamation du cessez-le-feu, le 19 mars 1962 et sa libération.
Aujourd’hui, le vieux Naoui Mechri lance un appel à la génération actuelle pour qu’elle se souvienne des sacrifices des moudjahidine et des martyrs lors de la guerre de libération nationale, en organisant des manifestations et des activités qui mettent en lumière les crimes contre l’humanité commis par l’armée coloniale française contre les Algériens.
Un autre octogénaire, le moudjahid Kadi Omar (85 ans), a décrit les différents types de tortures qu’il a subis lors de sa détention dans ce centre de 1958 à 1959. Battu avec des chaînes de fer, accroché avec une corde et fouetté, chaque nuit, il a également en plus d’être torturé à l’électricité.
« Chaque prisonnier avait les pieds liés par des chaînes de fer pour qu’il lui soit difficile de se déplacer ou de s’évader » , explique-t-il, ajoutant que le centre accueillait les moudjahidine et les citoyens, arrêtés lors des opérations militaires menées par l’armée française dans les régions de la plaine de Ghriss et les hauteurs de Beni Chougrane, dans la région de Mascara.
Un sinistre lieu de torture
Kadi Omar explique que « les crimes monstrueux commis par les tortionnaires français à l’intérieur de ce centre visaient à terroriser les habitants des zones voisines, à l’instar de celles connues pour la grande activité des bataillons de l’ALN. Les interrogatoires des détenus étaient menées lors de séances de torture d’une rare brutalité ».
Son incarcération au niveau de ce centre lui a laissé des séquelles indélébiles. A ce jour, il souffre encore de plusieurs maladies résultant des tortures qui ont été pratiquées contre lui durant toute une année. En dépit du poids des années, Kadi Omar n’arrive pas à oublier les crimes et pratiques bestiales commis par l’armée d’occupation française contre lui et ses compagnons d’armes et les habitants de la région.
« De dizaines, voire de centaines de moudjahidine et de citoyens ont été tués à l’intérieur des cellules du centre de torture de Chabou. Leurs bourreaux ont dissimulé leurs corps pour faire croire à leurs familles qu’ils ne sont pas été exécutés dans ce sinistre lieu », a-t-il relevé, ajoutant que dès sa libération fin 1959, il n’a pas hésité à reprendre le combat libérateur dans la région de Ghriss et jusqu’au recouvrement de l’indépendance.
Interrogé sur les activités de ce sinistre centre, le professeur d’histoire moderne et contemporaine de l’Algérie à l’Université « Mustapha Stambouli » de Mascara, Dr Hmaïdi Bachir a indiqué que « ce lieu de torture a été l’un des instruments de l’armée coloniale française, à travers lequel elle a tenté sans succès de mettre fin à la lutte armée dans la sixième région de la wilaya V historique ».
L’universitaire a également souligné que « la France a cherché, à travers la création de ce centre, implanté dans le sud-est de la wilaya de Mascara, à limiter les déplacements des bataillons de l’ALN dans la région, ainsi qu’à restreindre la population de la région en les terrorisant ».
Ce centre était connu pour être surpeuplé, compte tenu du grand nombre des moudjahidine et de citoyens de la région, arrêtés lors des opérations de ratissage menée dans les zones proches de ce centre de détention.
Le même professeur a souligné qu’à travers les recherches et les études qu’il a menées au cours des dernières années, basées sur les témoignages d’anciens détenus de ce centre, il a pu montrer les méthodes de torture les plus atroces et humiliantes pratiquées par l’armée française. Il a également déploré le manque de traces matérielles de ce centre, notant que « ce dernier a été l’un des plus grands centres de torture, érigés par les autorités coloniales françaises dans la région dont le nombre total a atteint les 76 sites ».
M. Hmaïdi a appelé à multiplier et approfondir les recherches scientifiques autour de ces repères, témoins irréfutables des pratiques inhumaines commises par l’armée coloniale française contre les algériens pendant la guerre de libération. « Il est important d’inventorier tous ces lieux et d’effectuer des recherches rigoureuses avec la participation de spécialistes », a-t-il estimé
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