Plus de 400.000 personnes ont « franchi le seuil de la famine » dans la région éthiopienne du Tigré, en guerre depuis huit mois, a prévenu vendredi un haut responsable de l’ONU, l’organisation exhortant par ailleurs les rebelles à appliquer le cessez-le-feu décrété par l’Ethiopie.
Le conflit au Tigré (Nord) a connu un tournant majeur lundi avec la prise de la capitale régionale Mekele par les forces favorables aux autorités régionales dissidentes, issues du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).
Et la destruction cette semaine de deux ponts cruciaux pour l’acheminement d’aide au Tigré suscite l’inquiétude. Accusé de vouloir empêcher l’aide humanitaire d’arriver dans cette région où son armée a perdu du terrain, le gouvernement éthiopien a démenti toute responsabilité.
La situation s’est « considérablement aggravée », a déclaré vendredi le secrétaire général adjoint par interim aux affaires humanitaires de l’ONU, Ramesh Rajasingham, lors de la première réunion publique du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Tigré depuis le déclenchement du conflit en novembre.
« On estime que plus de 400.000 personnes ont franchi le seuil de la famine et que 1,8 million de personnes supplémentaires sont au bord de la famine », a averti M. Rajasingham. « Certains suggèrent que les chiffres sont encore plus élevés. 33.000 enfants souffrent de malnutrition sévère », a-t-il ajouté.
« Les vies de bon nombre de ces personnes dépendent de notre capacité à les atteindre avec de la nourriture, des médicaments ». « Nous devons les atteindre maintenant. Pas la semaine prochaine. Maintenant », a-t-il lancé. Le gouvernement éthiopien a rejeté vendredi les accusations affirmant qu’il voulait bloquer l’aide humanitaire vers le Tigré.
« L’insinuation selon laquelle nous prévoyons d’asphyxier le peuple tigréen en refusant l’accès humanitaire et en utilisant la faim comme une arme de guerre est inadmissible », a déclaré le vice-Premier ministre Demeke Mekonnen à des diplomates dans la capitale, Addis Abeba.
L’ONU exhorte également les forces rebelles, baptisées Forces de défense du Tigré (TDF), « à approuver immédiatement et complètement le cessez-le-feu » décrété par le gouvernement éthiopien, a déclaré la secrétaire générale adjointe de l’ONU pour les Affaires politiques, Rosemary DiCarlo.
« Un cessez-le-feu observé par toutes les parties faciliterait non seulement la fourniture d’une aide humanitaire, mais serait également un point de départ pour les efforts politiques nécessaires pour tracer une voie de sortie de crise », a-t-elle ajouté.
Après des mois de tensions, le Premier ministre Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019, a envoyé l’armée au Tigré le 4 novembre pour capturer les dirigeants du TPLF, les accusant d’avoir orchestré des attaques contre des bases militaires fédérales, ce que le TPLF avait démenti.
M. Abiy a proclamé la victoire après la prise de Mekele le 28 novembre, mais les combats n’ont jamais cessé entre les forces pro-TPLF et l’armée éthiopienne, épaulée par des troupes des autorités régionales voisines de l’Amhara et l’armée de l’Erythrée voisine.
La guerre a plongé la région dans une situation humanitaire dramatique. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 5,2 millions de personnes, soit 91 % de la population du Tigré, ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence.
Le PAM a indiqué vendredi avoir repris ses opérations d’aide après une pause de deux jours, espérant atteindre 30.000 personnes « d’ici le week-end ». Mais il a déploré la destruction des deux ponts, affirmant que « des vies seront perdues si les routes d’approvisionnement vers le Tigré ne s’ouvrent pas complètement et si les parties prenantes au conflit continuent de perturber ou de mettre en danger la libre circulation » de l’aide.
Plusieurs pays, dont les Etats-Unis, l’Irlande et le Royaume-Uni, à l’origine de la réunion du Conseil de sécurité dont ne voulaient pas les Etats africains, jugeant que le conflit relève d’une affaire interne de l’Ethiopie, ont aussi fait valoir que tout obstacle aux accès humanitaires devait être levé. Dans ses discussions avec les diplomates, M. Demeke a répété que le cessez-le-feu avait été décrété pour permettre la distribution d’aide humanitaire et le travail des cultures.
Mais avec l’électricité et les télécommunications coupées, les vols suspendus et la plupart des routes de la région désormais impraticables, responsables onusiens et diplomates craignent que la situation n’empire.
« Un cessez-le-feu ne signifie pas couper l’électricité d’une région ou détruire des infrastructures cruciales », a déclaré vendredi le chef de la diplomatie de l’Union europénne, Josep Borrell. « Un cessez-le-feu crédible signifie faire tout son possible pour que l’aide parvienne aux millions d’enfants, de femmes et d’hommes qui en ont un besoin urgent ».
Face aux diplomates, M. Demeke a également déclaré qu’après les élections nationales du 21 juin, qui devraient donner à Abiy un nouveau mandat, le gouvernement se préparait à un « dialogue inclusif pour résoudre la crise du Tigré ».
« Ce processus devrait impliquer les partis d’opposition légaux, les membres de la base du TPLF qui se montrent prêts à choisir une voie pacifique, le monde des affaires, les organisations de la société civile, les anciens et d’autres personnalités éminentes », a-t-il déclaré. Mais les dirigeants éthiopiens ont toutefois exclu toute discussion avec les chefs du TPLF.
Addis Abeba souhaite que les dirigeants du TPLF soient sanctionnés pour leurs « responsabilités », a affirmé le vice-Premier ministre, ainsi que le porte-parole de la cellule de crise gouvernementale pour le Tigré, Redwan Hussein. Mais certains membres du TPLF sont « innocents » et pourraient être inclus dans les futures discussions, a estimé M. Demeke, selon ces diplomates.
afp
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