Dr Mourad GOUMIRI.
Le mot jacobinisme désigne aujourd’hui une doctrine qui tend à organiser le pouvoir de façon administrative (bureeaucratie) et centralisée et à le faire exercer par une élite autoproclamée (technocratie et ploutocratie) qui étendent leur compétence à tous les échelons géographiques et à tous les domaines de la vie sociale afin de les fondre dans un moule uniforme, ce qui en fait l’adversaire du régionalisme et du fédéralisme. L’usage moderne du mot jacobinisme est anachronique. En effet, le jacobinisme, pendant la Révolution française, était une réaction aux manœuvres internationales et locales pour restaurer la monarchie. Le jacobinisme est donc une doctrine qui s’oppose aux communautaristes, qui tendraient, par essence, à catalyser les divisions sociétales internes. Il incarne l’indivisibilité de la souveraineté nationale, la vocation de l’État à transformer la société, la centralisation gouvernementale et administrative, l’égalité des citoyens garantie par l’uniformité de la législation, la régénération des hommes par l’école républicaine et l’intégration des populations de toutes les provenances (2), contre le communautarisme.
Aujourd’hui, dans le contexte français et les espaces coloniaux historiques, le jacobinisme renvoie à une forme d’organisation centralisatrice de l’État, en opposition aux organisations fédéralistes ou celles qui font de fortes dévolutions de pouvoir aux entités régionales et locales. Le terme jacobinisme est donc couramment utilisé aujourd’hui, par glissement de sens, comme synonyme de centralisme. En Europe, le cas français (1) est quasi unique où un puissant courant jacobin organise toute la pyramide de l’état, par rapport aux autres pays fédéraux (Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Royaume-Uni) et pays fédératifs à l’instar de la confédération helvétique. Par héritage colonial, les pays du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest, ont succombé, forcés ou pas, à cette forme d’organisation, où le pouvoir central est omniprésent par rapport aux régions et ceci d’autant que le découpage discrétionnaire, de cet espace par la puissance coloniale, a été effectué avec le souci génétique du jacobinisme.
L’Algérie n’est pas sortie indemne de cette forme d’organisation, unique pays au monde à avoir subi une colonisation de peuplement, qui, après avoir délimité ses frontières, avec ses voisins, a découpé le territoire en trois départements français et en territoires dits sahariens, au début de la colonisation. La guerre de libération nationale a consolidé le ciment de l’unité du peuple algérien face aux colonialismes et permis de déjouer toutes les tentatives françaises d’extraction de régions (à l’Ouest mais surtout au Sud), avec comme doctrine napoléonienne du « diviser pour régner ». L’Algérie combattante et par la suite indépendante, va se calquer sur la doctrine jacobine, de manière à souder l’intégrité du territoire hérité de la colonisation, de manière à barrer la route à toutes tentatives internes et externes de sécession. C’est dans cette logique que vont se dessiner, dès l’indépendance, les Wilayas (15 au départ et 58 actuellement), les Daïras et les communes, avec plus ou moins de bonheur, bien que ces découpages vont souvent faire l’objet de contestations souvent légitimes (par exemple, l’érection de la Wilaya de Boumerdès à la place de la Daïra de Bordj-Menaïel, de la Wilaya d’Oum el-Bouaghi à la place de la Daïra d’Ain-Beida, de la Wilaya de Tipaza à la place de la Daïra de Cherchell…). Dès lors, se pose avec acuité le problème de la décentralisation administrative et la rapidité des réponses à trouver en direction des besoins des populations dans leur vie au quotidien, puisque que toutes décisions doivent transiter par le centre de décisions et les propositions régionales et locales restantes sont frappées de nullité si elles contreviennent aux « directives centrales ».
Pire que cela, le « nerf de la guerre », les finances publiques sont très centralisées, tant en ressources qu’en dépenses, puisque que les budgets des collectivités locales et notamment communales, sont centralisées dans un Fonds commun (FCCL) et ensuite réparties par le centre, à ces dernières, sur la base de des critères complètement discrétionnaires, au nom de la solidarité entre communes riches et celles pauvres. Ce n’est pas sans conséquences, puisque les pouvoirs publics viennent de découvrir des « zones d’ombre » qu’ils tentent d’éradiquer par des programmes spéciaux de rattrapage, pour y introduire les investissements élémentaires nécessaires à la vie quotidienne des populations. La déconcentration des budgets qui aurait pu solutionner un certain nombre de problèmes est inefficace, dans la mesure où ces collectivités locales sont sous encadrement et en conséquence de quoi, elles sont incapables de consommer les budgets alloués puisque moins de 40% le sont.
Les 1.541 communes devraient être pourvues, au minimum, d’un énarque comme secrétaire général (3), d’un gestionnaire, pour la conclusion des marchés de réalisation, d’un ingénieur pour le bureau technique, d’un médecin (santé publique) pour les besoins de santé publique et d’assainissement et d’un cadre chargé de la sécurité (4), tout cet encadrement afin de prendre en charge les besoins locaux essentiels des populations. Qui, mieux que les élus locaux, connaissent les besoins, les priorités, les lacunes, les attentes des populations de leur circonscription respective ? Le ministère de l’intérieur, les Walis, les chefs de Daïras… leur connaissance des problèmes locaux nécessite au moins une à deux années et après leur mutation… ils récidivent ! Comment la décentralisation et la déconcentration peuvent-elles être efficaces si elles se reposent sur un vide sidéral d’encadrement ? Ces actions publiques vont obligatoirement remonter vers le haut de la hiérarchie et se subroger aux pouvoirs locaux, entraînant forcément un désengagement de l’élu local et le réduisant à une simple courroie de transmission en direction de l’administration centrale. Dès lors, l’élu local devient « mineur » au sens juridique et recours à la tutelle exercée par le représentant local de l’administration centrale (Walis et chef de Daïra) pour exercer ses prérogatives et ses fonctions, qui lui sont consacrées par la loi. A l’heure, où le pays s’apprête à organiser un scrutin fondamental, que représente le renouvellement des élus locaux (APC et APW), le 27 novembre prochain, dans le cadre de l’agenda politique fixé par le Président de la république, il est urgent de se pencher sur les équilibres nouveaux à trouver, entre les élus locaux et l’administration centrale ainsi que ses représentants désignés. MG
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(1) P. Rosanvallon estime que le jacobinisme, qui s’est traduit au cours de la Révolution française, avec la loi Le Chapelier (1791), par le rejet des corps intermédiaires, qui se manifeste aujourd’hui dans la vie politique française par une « culture de la généralité » constamment activée dans les discours politiques.
(2) La Révolution française a justifié l’imposition d’une langue commune pour tous les citoyens par le principe de droits communs pour tous les citoyens. Cette langue commune est le français, qui était déjà largement répandu comme langue d’échange sous la Royauté, au sein de l’aristocratie et de la bourgeoisie. La tradition jacobine, qui favorise la primauté d’une langue véhiculaire commune à tous les citoyens, au nom d’une libération personnelle face aux pesanteurs socioculturelles locales.
(3) Selon mes informations, ces derniers perçoivent autour de 35.000 DA mensuellement !
(4) La dissolution de la garde communale est une grave erreur politique doublée d’une décision énigmatique.
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