Mardi 15 février 2022, le pôle financier lance une grande opération de perquisition, mise sous scellés, saisie et confiscation de biens appartenant à de nombreux hommes d’affaires et hauts fonctionnaires ainsi que les membres de leurs familles, poursuivis et condamnés (pour certains définitivement) dans des affaires de «corruption» et de «blanchiment d’argent».
Le premier de cette liste de plus d’une quinzaine de personnes ciblées a été Ali Haddad, patron du groupe ETRHB, en détention à Tazoult, après sa première condamnation définitive au mois de mai 2021 pour «trafic d’influence», «blanchiment d’argent», «perception d’indus avantages» et «financement occulte de la campagne électorale».
Dès le début de la matinée, des éléments de la Brigade de recherche et d’investigation (BRI), en compagnie d’un procureur et d’un juge du pôle financier, ont donné une heure aux membres de la famille de Haddad se trouvant à la villa de Poirson à El Biar et celle de Dély Ibrahim, à Alger, pour prendre leurs affaires personnelles et quitter les deux demeures, mises sous sellées. Cette descente est suivie par plusieurs autres.
D’abord à Rouiba, où dans les mêmes conditions, les policiers, sous la supervision d’un juge et d’un procureur du pôle financier, ont procédé à la confiscation de la villa de Mahieddine Tahkout, patron du groupe Cima Motors, condamné en appel, au mois de novembre 2020, à une peine de 14 ans de prison ferme pour «corruption», «trafic d’influence» et «perception d’indus avantages». La famille n’a même pas eu le temps de prendre les affaires personnelles, étant donné le délai d’une heure qui lui a été accordée.
A Bouzaréah, sur les hauteurs d’Alger, c’est la demeure de l’homme d’affaires Noah Kouninef, condamné en appel à 15 ans de prison, qui a tout simplement été saisie et confisquée, comme l’ont été d’ailleurs les biens à Alger ainsi qu’à Oran du minotier Hocine Metidji, PDG du groupe éponyme, condamné en appel à 8 ans de prison ferme pour des faits liés à «la corruption» mais aussi au «financement occulte» du 5e mandat avorté du défunt Président déchu.
Toujours à Alger, la justice a procédé à la saisie d’une villa de Khader Oulmi, frère cadet du patron du groupe Sovac, Mourad Oulmi, concessionnaire de marques automobiles allemandes, condamné en appel à une peine de 10 ans de prison au mois d’octobre 2020 pour, entre autres, «blanchiment d’argent», «perception d’indus avantages» et «trafic d’influence».
Les mesures du pôle financier ont ciblé également les hauts fonctionnaires de l’Etat, à commencer par les deux anciens Premiers ministres, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, qui ont écopé des peines définitives respectivement de 15 et 12 ans de prison ferme, dans le cadre des affaires liées aux avantages octroyés dans le cadre de l’industrie du montage automobile.
Ainsi, la villa d’Ahmed Ouyahia a été scellée et confisquée, après sa condamnation définitive liée au procès des concessionnaires automobiles. Il en est de même pour la villa de Abdelmalek Sellal située à Alger, celle de son épouse à Palm Beach, à l’ouest de la capitale, et de l’usine en chantier de son fils Fares, en détention pour une nouvelle affaire en instruction, après avoir purgé une peine définitive de 2 ans dans le cadre du procès du patron du groupe Metidji.
C’est d’ailleurs dans le cadre cette même affaire que les biens de son ancien directeur de cabinet, Mustapha Karim Rahiel, et de l’ancien directeur du protocole à la Présidence, Mokhtar Reguieg, condamnés respectivement à des peines non définitives de 3 ans et de 6 ans de prison ferme, ont été quant à eux perquisitionnés et mis sous scellés.
Les biens de Abdelghani Hamel et de ses enfants confisqués
Lors de la descente des policiers, en compagnie du procureur et du juge du pôle financier, à la villa de Rahiel, située à El Achour, la famille était loin de réaliser qu’elle allait quitter les lieux. Elle a eu une heure pour ramasser ses affaires personnelles. Ce qui relève de l’impossible. Dans le cas de Mokhtar Reguieg, les procédures de mise sous scellés et de saisie n’a pas ciblé un seul bien mais plusieurs, notamment à Alger, exécutées simultanément. La même procédure a été exécutée pour les villas des anciens ministres des Travaux publics, Amar Ghoul et Abdelkader Kadi, ainsi que la maison du fils de ce dernier.
Aussi, les biens de l’ex-ministre des Ressources en eau, Abdelaziz Baraki, poursuivi en tant que DG de l’ANBT pour des faits de corruption et dont le dossier est toujours en instruction, ont été confisqués. Il y a également les biens de l’ex-patron de la police, Abdelghani Hamel, condamné à une peine définitive de 10 ans de prison ferme, dans le cadre du procès de «Mme Maya», de son vrai nom Zoulikha Nachinèche, et à une autre en appel de 8 ans de prison, liée à l’obtention de biens immobiliers par lui et les membres de sa famille. C’est à ce titre que l’autorité judiciaire a également procédé à la saisie des appartements et maisons de ses enfants, y compris ceux situés à Oran. Selon des sources bien informées, «ce n’est là qu’une première liste de personnalités visées par l’autorité judiciaire. Une autre serait prête et devrait intervenir dans les jours à venir».La manière avec laquelle l’autorité judiciaire a procédé pour effectuer ces saisies a suscité des interrogations chez de nombreux avocats avec lesquels nous nous sommes entretenus. D’abord, «pourquoi maintenant ?» se demandent-ils, puis de souligner : «Le premier procès des hommes d’affaires et hauts fonctionnaires a eu lieu au mois de décembre 2019 et les premières décisions définitives au mois d’octobre 2020. Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour agir ?»
Certains avocats constitués dans ces dossiers n’ont pas été prolixes en informations, arguant du fait qu’ils «n’ont pas assisté» à ces opérations vu que la loi ne le permet pas. Ils relèvent cependant des «anomalies» qui suscitent de «l’incompréhension», voire même «le doute» dans l’esprit de nos interlocuteurs. «Il est vrai que le juge du pôle financier est souverain. La loi lui donne toutes les prérogatives pour prendre de telles décisions. Cependant, il y a problème dans l’exécution de la procédure», explique un ancien bâtonnier, avocat d’un des hauts fonctionnaires de l’Etat concerné par ces saisies.
Selon lui, «la saisie d’un bien suppose que ce dernier est bien défini ; c’est-à-dire, s’agit-il juste des murs ou y compris de ce qu’il y a à l’intérieur ? Il faut donc un inventaire de tous les objets de valeur, tels que les tableaux, les bijoux mais aussi le mobilier. En bref, avoir un procès-verbal détaillé et précis, notamment lorsqu’il s’agit de la mise sous scellés du bien ou de sa confiscation. Or, l’autorité judiciaire n’avait rien, à l’exception de la décision. Pour les familles qui y habitaient, c’était le choc. Certaines avaient tout laissé à l’intérieur. D’autres n’ont même pas eu le temps de prendre leurs effets personnels et leurs objets de valeur».
Abondant dans le même sens, un autre avocat, ajoute : «Les scellés sont généralement mis pour protéger la scène d’un crime. Que veut-on protéger ? Est-ce les objets qui s’y trouvent ? Cela fait plus de deux ans que les familles des propriétaires en disposent. Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour procéder à la saisie des biens sachant que les premières confirmations des décisions de la justice ont été rendues au mois d’octobre 2020 ?» Autant de questions qui restent sans réponse.
Cependant, certains de nos interlocuteurs expliquent que ces procédures de saisie «inattendues» de la justice, disent-ils, «ont été décidées à la suite de la tentative de vente par procuration d’un hôtel, à Azzefoun, appartenant à l’homme d’affaires Ali Haddad», mais d’autres «y voient une opération destinée à l’opinion publique, qui attend depuis 2019 la concrétisation de la promesse de récupération des biens dilapidés». Il faut savoir que parmi les décisions définitives de la justice liées au premier dossier des concessionnaires automobiles, il y a eu de très lourdes sanctions pécuniaires.
En tout cas, cette offensive de l’autorité judiciaire intervient quelques jours seulement après la perquisition du domicile familiale de Saïd Bouteflika, à Alger, par les services de police. Une décision ordonnée par le juge du pôle financier, chargé de l’enquête sur les fonds ayant servi à la création d’une chaîne de TV (Istimraria), dédiée à la campagne électorale pour le 5e mandat avorté du défunt Président déchu, et dans laquelle sont poursuivis Saïd Bouteflika, Ali Haddad et les Kouninef.
Source :El Watan
MH
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